Analyse – Les produits de substitution, nouvelle opportunité pour le secteur agroalimentaire
Alors que la population mondiale atteindra 10 milliards d’individus d’ici 2050[1], de nombreux défis attendent l’industrie agroalimentaire de demain. Afin de répondre aux exigences environnementales, directement liées à notre consommation, de nouveaux écosystèmes d’entreprises et de laboratoires de recherche se sont mis en place afin d’y répondre. Leur solution : les produits de substitution. Ces derniers se retrouvent de nos jours dans de multiples secteurs, et pourraient s’avérer être une opportunité pour l’expansion du secteur agroalimentaire mondial.
Le phénomène le plus marquant concerne directement le secteur agroalimentaire, avec l’émergence de nouveaux aliments, dans le but de créer de nouveaux modes de consommation. Ces alternatives se multiplient rapidement, et prennent de plus en d’ampleur sur le marché. Dans l’optique des changements de comportements alimentaires opérés par de nombreux individus (d’après une étude d’Ipsos Mori en 2018, 3% de la population mondiale est vegan, 5% végétarienne et 14% flexitarienne)[2], il est intéressant de se pencher sur le cas de la viande, qui émet 14.5% des émissions de gaz à effet de serre mondiale en 2013 d’après la FAO.[3] Avec une consommation mondiale de viande qui devrait augmenter de 13% entre 2019 et 2029, corrélée avec l’émergence de classe moyenne dans des pays à forte densité démographique comme la Chine ou l’Inde, l’idée serait de la remplacer avec de la viande à base de cellules souches (confectionnées dans des laboratoires) ou de plantes. Dans ce dernier cas, on peut citer l’émergence de Beyond Meat et d’Impossible Foods, deux entreprises américaines de produits de substitution à la viande à base de plantes. Valorisée respectivement à 4 et 2 milliards de dollars[4], elles gagnent en popularité grâce à des partenariats avec les géants de la distribution comme Starbucks ou Burger King, qui a lancé un « Impossible Burger » en collaboration avec Impossible Foods. Les produits proposés sont nombreux : saucisses, steak, nuggets et d’autres venants remplacer la viande de poulet, de bœuf, de porc, etc. Ces derniers sont faits à partir de soja, pois, haricots, champignons, haricots mungo, riz ou gluten de blé, le tout en gardant l’apport en protéines et en restant nutritif.
D’après Barclays, la part de marché de la viande à base de plantes augmentera jusqu’à atteindre 10% du marché mondial de la viande en 2029. En parallèle, on constate également une baisse de la consommation de viande dans certains pays développés comme la France (-7% depuis 1998 d’après FranceAgriMer), les Etats-Unis (-33% entre 1970 et 2016)[5] ou encore le Royaume-Uni (-17% lors des 10 dernières années d’après National Diet and Nutrition Survey)[6]. Les changements de comportements alimentaires sont déjà visibles aujourd’hui, et mettent en avant la progression des produits de substitution et l’évolution du marché.
La viande bien sûr fait partie des plus gros marchés de substituts, mais il en existe également d’autres comme la gélatine à base d’agar-agar, pectine de fruits, amidon ou fécule ; le beurre à base de courge ; le poisson à partir de tofu ou champignon (le thon à base de tomates); les crevettes à base d’algues et de haricots mungo ; etc.
Une production nationale de produits de substitution à base de plantes au Maroc serait envisageable dans la mesure où le Royaume produit certains aliments qui pourraient être utilisés à cette fin, comme le caroubier (6 000 tonnes par an)[7], haricots (200 000 tonnes en 2020), d’algues rouges pour l’agar-agar, et d’autres.
Le problème majeur de ces produits de substitution cependant est leurs prix de nos jours. Ces derniers restent très élevés par rapport aux produits qu’ils sont censés remplacer. Aux Etats-Unis par exemple, 2 steaks de Beyond Meat coûtent $5.99, soit le même prix que 900g de viande hachée.[8] En réalité, cette situation vient d’un problème d’économie d’échelle, qui se résoudra lorsque la demande, et donc la production, augmenteront d’après Mme Holstein, propriétaire de The Edible Future, un groupe de consulting en recherche et innovation travaillant avec Kraft Foods et Unilever. Il faudra pour cela palier à la faible consommation des pays émergents de ces produits de substitution, et qui préfèrent aujourd’hui consommer les aliments à leur état naturel.
A terme, ces produits impacteront le marché agroalimentaire en détournant l’intérêt général de certaines filiales, afin d’en faire profiter d’autres. Autrement dit, le secteur agroalimentaire en tant que tel ne perdra pas forcément des parts de marché, il sera simplement remodelé.
Le secteur agroalimentaire pourra cependant également profiter de cette tendance alors que d’autres industries cherchent à changer leurs modes de production. L’industrie textile par exemple, se tourne maintenant vers les fibres naturelles, qui peuvent être fabriquées à partir de noix de coco, ananas ou autre. Pour l’industrie pharmaceutique, des chercheurs de l’Institut Roslin ont élevé en 2018, des poules génétiquement modifiées, pondant des œufs riches en protéines, utilisées dans la recherche à la place de protéines de laboratoires. A grande échelle, ces modes de productions à travers des substituts pourraient positivement impacter le secteur agroalimentaire dans les années à venir.
Il serait intéressant de mentionner le cas des algues. Ces dernières faisant partie intégrante du spectre des produits du secteur agroalimentaire, elles ont également de nombreuses applications en dehors de ce dernier. Tout d’abord au sein de l’industrie textile, où des fibres à base d’algues sont produites afin d’offrir des alternatives aux fibres synthétiques, extrêmement polluantes (1.35% de la production mondiale de pétrole y est consacré).[9] Il y a notamment la fibre SeaCell, fabriquée par l’entreprise Zimmer AG à partir d’algues brunes et de cellulose, utilisée pour des habits de sports ou des sous-vêtements, et commercialisée par Hugo Boss, Speidel et d’autres. Les algues sont par ailleurs un composant essentiel dans l’élaboration de nouvelles fibres durables. C’est le cas de l’algue brune, à partir de laquelle on peut extraire l’alginate dont les propriétés collantes sont utilisées par les chercheurs de l’université Aalto afin de créer une nouvelle fibre avec de la chitine. En pharmaceutique, l’utilisation de ces dernières est de plus en plus fréquente, au point de remplacer les traitements chimiques en proposant des solutions naturelles : l’Académie des Sciences de Chine a démontré les effets positifs des sucres issus des algues pour contrer les effets perçus lors des stades précoces de l’Alzheimer.
Les usages s’étendent encore à d’autres secteurs, faisant office de substitut à l’emballage plastique (l’entreprise Aglopack a créé un matériau plastique, conçu à 100% d’algues), à la décoration intérieure (le designer Nienke Hoogvliet a créé une collection, nommée SeaMe à base de fils d’algues), et bien sûr à certains aliments (burgers, le sel, des chips ou encore des en-cas).
Le Maroc possède des réserves d’algues verte, brune et rouge. Il est par ailleurs le 2e exportateur mondial de gélose, extraite de ces dernières. [10] Les régions d’El Jadida et de Safi accumulent de belles réserves d’algues rouges, notamment utilisées pour produire l’agar-agar, très prisées à l’international. Bonne nouvelle donc pour le secteur agroalimentaire marocain pour les années à venir.[11]
L’industrie agroalimentaire profite de bien d’autres produits dont les dérivés sont utilisés afin de créer des substituts à des produits existants, comme le chanvre, l’eucalyptus, le lait, le lotus, le thym, l’ortie, la mélisse, etc.
Finalement, on peut comprendre que les substituts sont simplement une adaptation du secteur agroalimentaire au marché et aux défis des années à venir, qui sont à la fois climatiques et démographiques. En réalité, ils offrent plus d’opportunités au secteur par la multitude de débouchés qu’ils proposent, et viennent étoffer ce dernier et non le menacer : d’après Mme Holstein, les entreprises des produits remplacés commenceront bientôt à produire eux-mêmes les substituts afin de répondre à la demande.
[1] https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/meurthe-et-moselle/nancy/alimentation-prets-pour-les-farines-d-insectes-les-viandes-de-culture-le-beurre-sans-matiere-grasse-c-est-l-avenir-2290369.html
[2] https://veganolio.com/how-many-vegans-and-vegetarians-are-in-the-world-today/
[3] www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/10/29/la-viande-a-aussi-un-impact-majeur-sur-la-planete_4799570_4355770.html
[4] https://bruxelles.marketing/exclusif-impossible-foods-leve-300-millions-de-dollars-aupres-dinvestisseurs-avides-de-bouchee-de-hamburgers-sans-viande-par-reuters/
[5] www.planetoscope.com/elevage-viande/1235-consommation-mondiale-de-viande.html
[6] www.bbc.com/news/science-environment-58831636
[7] www.agrimaroc.ma/viande-vegetale-caroube/
[8] www.cnbc.com/2021/08/25/impossible-foods-beyond-meat-battle-price-parity-with-real-meat.html
[9] www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/03/l-industrie-de-l-habillement-de-plus-en-plus-dependante-des-ressources-fossiles_6068647_3244.html
[10] https://lematin.ma/journal/2016/au-maroc-les-algues-peuvent-etre-une-source–de-developpement-local/244680.html
[11] https://aujourdhui.ma/economie/pecherie-des-algues-marines-le-quota-en-hausse-de-12-pour-2017