Perspective mondiale de l’énergie 2024 : Naviguer dans la nouvelle phase de la transition énergétique
Le rapport Global Energy Perspective 2024 de McKinsey analyse l’état actuel de la transition énergétique mondiale et explore les voies possibles pour atteindre les objectifs de neutralité carbone. Il revient sur les progrès réalisés depuis l’Accord de Paris de 2015 tout en mettant en lumière les nouvelles complexités et défis rencontrés. Cette nouvelle phase de la transition nécessite un équilibre délicat entre les objectifs de transition vers les énergies propres, l’accessibilité financière, la sécurité énergétique et la stabilité économique, en particulier dans un contexte géopolitique et macroéconomique en évolution.
1. Progrès et défis de la transition énergétique
Depuis l’Accord de Paris, des progrès significatifs ont été réalisés dans l’adoption des énergies renouvelables et des technologies à faible émission de carbone. Cependant, le rapport souligne que la transition énergétique mondiale entre dans une phase plus complexe et coûteuse. Les défis liés à l’inflation, à la chaîne d’approvisionnement et à l’augmentation des coûts rendent la prochaine étape plus difficile à franchir.
La transition énergétique ne relève plus uniquement d’une question technologique, mais implique des considérations économiques, politiques et sociales. La décarbonation doit être équilibrée avec d’autres priorités telles que l’accessibilité de l’énergie et la fiabilité du système énergétique, alors que les tensions géopolitiques et les incertitudes économiques se multiplient.
2. Trajectoires des émissions et l’objectif de 1,5°C
Un des objectifs principaux du rapport est d’examiner la probabilité de rester sur la voie fixée par l’Accord de Paris, à savoir limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Bien que les émissions soient prévues à la baisse d’ici 2050 dans tous les scénarios, elles devraient néanmoins rester supérieures aux niveaux requis pour atteindre les objectifs de zéro émission nette. Cette baisse est principalement due à la rentabilité croissante des technologies à faible émission de carbone, en particulier dans les secteurs de l’énergie et des transports.
Le rapport présente trois scénarios de transition énergétique :
- Transformation durable : Un scénario optimiste où le réchauffement global se stabilise autour de 1,8°C d’ici 2050.
- Continuité : Un scénario modéré qui entraîne une hausse de la température de 2,2°C.
- Évolution lente : Un scénario pessimiste où les températures pourraient augmenter jusqu’à 2,6°C.
Ces scénarios soulignent l’urgence de renforcer les efforts de décarbonation dans tous les secteurs pour éviter une hausse des températures au-delà des seuils critiques.
3. Tendances mondiales de la demande énergétique
La demande mondiale en énergie continue d’augmenter, principalement dans les économies émergentes comme les pays de l’ASEAN, l’Inde et le Moyen-Orient. Dans ces régions, l’accroissement de la population et l’essor de la classe moyenne stimulent la consommation énergétique. La demande devrait croître de 11 % à 18 % d’ici 2050, en fonction des scénarios.
En revanche, les économies matures, en particulier en Europe et en Chine, devraient connaître une stabilisation, voire une baisse de leur demande énergétique grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique. Cependant, des secteurs comme l’électrification industrielle aux États-Unis pourraient contrebalancer cette tendance.
4. Électrification et nouveaux centres de demande énergétique
L’électrification sera l’un des principaux moteurs de la consommation d’énergie jusqu’en 2050. Le rapport indique que la consommation d’électricité pourrait plus que doubler, voire presque tripler d’ici là, notamment en raison de l’essor des véhicules électriques (VE), des centres de données et de la production d’hydrogène vert. Par exemple, la demande des centres de données, alimentée par l’intelligence artificielle et le cloud computing, pourrait représenter de 5 % à 9 % de la consommation mondiale d’électricité d’ici 2050.
L’électrification des transports est également un secteur clé de croissance, avec les véhicules électriques qui devraient dominer le marché mondial des voitures particulières d’ici 2050, augmentant ainsi considérablement la demande en électricité dans le secteur du transport.
5. Croissance des énergies renouvelables et défis
Les énergies renouvelables devraient jouer un rôle dominant dans le mix énergétique futur, avec des prévisions montrant qu’elles pourraient représenter de 65 % à 80 % de la production mondiale d’électricité d’ici 2050. L’énergie solaire et éolienne, en particulier, devrait connaître une forte croissance grâce à la baisse continue de leurs coûts. Cependant, certaines technologies, comme l’hydrogène et la capture du carbone, pourraient avoir du mal à se généraliser en raison de coûts plus élevés et d’un manque de soutien politique ou de demande.
Un des défis majeurs pour augmenter la part des énergies renouvelables est d’assurer la viabilité économique des nouveaux projets. Le rapport souligne que, malgré la baisse des coûts, beaucoup de projets d’énergies renouvelables risquent de ne pas être rentables sans une intervention réglementaire. Un autre défi est d’assurer la fiabilité des réseaux électriques, car les renouvelables étant intermittents, ils nécessitent des sources de soutien comme le stockage par batterie ou le gaz naturel pour garantir un approvisionnement stable en électricité.
6. Le rôle des combustibles fossiles dans la transition
Malgré la croissance des énergies renouvelables, les combustibles fossiles continueront de jouer un rôle essentiel dans le système énergétique mondial, représentant entre 40 % et 60 % de l’approvisionnement énergétique en 2050, contre 78 % en 2023. La transition vers des énergies sans carbone s’effectue plus lentement que prévu en raison de plusieurs facteurs, notamment des limitations technologiques et de la demande énergétique croissante. À court terme, les combustibles fossiles continueront de fournir la capacité nécessaire pour soutenir les systèmes d’énergie renouvelable et répondre à la demande là où les renouvelables ne suffisent pas.
Le rapport prévoit que les investissements dans les combustibles fossiles se poursuivront au moins jusqu’en 2030 pour garantir la sécurité énergétique mondiale et répondre à la demande immédiate.
7. Investissements dans les infrastructures et défis des réseaux
Pour soutenir la croissance de l’électrification et l’intégration des renouvelables, des investissements massifs dans les infrastructures de réseaux sont nécessaires. Le rapport estime que les investissements dans la transmission et la distribution devront tripler d’ici 2050 pour éviter les goulets d’étranglement et garantir un approvisionnement stable en énergie. Le système énergétique actuel est fragile et manque de redondance, ce qui pourrait entraîner des perturbations si ces problèmes ne sont pas résolus.
L’expansion des capacités du réseau est également essentielle pour permettre les flux d’énergie bidirectionnels, indispensables pour intégrer les sources d’énergie renouvelables distribuées. Cependant, cet élargissement pourrait être retardé en raison d’un sous-investissement et de pénuries de main-d’œuvre.
8. L’avenir de l’hydrogène et du stockage d’énergie
L’hydrogène, en particulier l’hydrogène vert, devrait connaître une croissance significative en tant que carburant clé dans un système énergétique décarboné. D’ici 2050, la consommation d’hydrogène pourrait atteindre 179 mégatonnes par an, entraînant une augmentation de 20 % par an de la demande d’électricité pour la production d’hydrogène.
Les systèmes de stockage d’énergie, y compris les systèmes de stockage par batterie (BESS) et les technologies de stockage d’énergie de longue durée (LDES), seront également cruciaux pour équilibrer l’offre et la demande d’énergie renouvelable. Cependant, le déploiement de ces technologies est encore entravé par des problèmes de coût et d’évolutivité.
9. Implications politiques et réglementaires
La transition énergétique nécessite des politiques et des cadres réglementaires de soutien pour permettre le déploiement rapide des technologies à faible émission de carbone. Les gouvernements devront adopter des régulations pragmatiques et adaptatives pour encourager les investissements dans les énergies renouvelables, assurer la sécurité énergétique et préserver la compétitivité économique.
En Europe et aux États-Unis, le développement des technologies clés accuse un retard par rapport aux objectifs de 2030, principalement en raison des préoccupations économiques et du manque d’engagements fermes dans les projets. Malgré les politiques comme l’Inflation Reduction Act des États-Unis, le rythme des décisions d’investissement reste insuffisant pour atteindre les objectifs de zéro émission nette.
10. Contraintes liées à la main-d’œuvre et aux matériaux
La transition énergétique nécessitera également de surmonter les contraintes liées à la main-d’œuvre et aux matériaux. Les industries des énergies renouvelables et des combustibles fossiles souffrent d’une pénurie de travailleurs qualifiés, tandis que la demande pour certains matériaux, comme ceux utilisés dans les batteries de véhicules électriques et les technologies renouvelables, augmente. Assurer un approvisionnement stable de ces matériaux et former une main-d’œuvre qualifiée sont essentiels pour réussir la transition énergétique.
Conclusion
Le rapport Global Energy Perspective 2024 dresse un tableau complexe de la transition énergétique mondiale. Bien que les énergies renouvelables et l’électrification soient appelées à dominer l’avenir, des obstacles majeurs subsistent. La lente diminution des combustibles fossiles, combinée aux défis liés à la construction des infrastructures nécessaires et à la montée en puissance des nouvelles technologies, montre que le chemin vers un système énergétique décarboné sera loin d’être simple. Atteindre les objectifs de zéro émission nette nécessitera un effort mondial coordonné, des investissements soutenus et des mesures politiques adaptatives pour naviguer sur cette route incertaine.