Analyse – Airbus et Boeing : Dynamiques de sorties de crise contrastées
Airbus Commercial Aircraft (« Airbus »), créé à la fin des années 1960, est un avionneur européen avec siège social à Toulouse (France). Il se spécialise dans les avions moyen-courriers dans les années 1980, y voyant une opportunité de marché. Son A320 étant un succès, il creusera ce filon commercial avec les A318, A319 et A321, tout en se diversifiant avec de nouveaux long-courriers (A330/A340). The Boeing Company (« Boeing »), avionneur américain né en 1916 à Seattle et dont le siège social est aujourd’hui à Chicago, se spécialise quant à lui dans les long-courriers. Longtemps leader incontesté de la construction aéronautique, il est dépassé par Airbus en 2019 (en termes de recettes ; Airbus avait déjà doublé son concurrent en termes de commandes et livraisons au début des années 2000). La crise Covid aura acté cette inversion, laissant Boeing avec 40% de parts de marché en août 2021, contre 60% pour Airbus.[1]
Malgré une industrie aéronautique qui peine à redémarrer, Airbus adopte une politique commerciale expansionniste
Une industrie aéronautique à la peine
Dans une interview publiée le 5 octobre 2021 sur L’Usine Nouvelle, le PDG d’Airbus, Guillaume Faury, a déclaré que l’industrie aéronautique n’est pas sortie de crise.[2]
Pour faire face à la fin des aides gouvernementales et à une conjoncture où les compagnies aériennes sont encore fragiles (du fait d’avions qui ne sont pas pleins et de revenus encore incertains), les acteurs industriels du secteur ont beaucoup procédé à des consolidations – telle la fusion des deux équipementiers français Nexteam et Ventana[3] – et accepté des restructurations de commandes – comme Airbus avec la compagnie malaisienne AirAsia[4].
En parallèle, ajoutons que Boeing a été ralenti dans sa reprise par des problèmes techniques rencontrés par son 737MAX, responsables de deux crashs en 2018 et 2019, ainsi que par d’importants retards de production – et de livraison, comme dans le cas des 115 777X commandés par la compagnie Emirates.[5]
Politique commerciale expansionniste d’Airbus
Airbus a pris le parti de poursuivre une politique commerciale expansionniste, malgré les incertitudes qui pèsent encore sur le secteur aéronautique et les craintes de ses fournisseurs. Ces derniers pourraient en effet être mis en difficulté si les commandes devaient ralentir à nouveau, du fait d’une conjoncture adverse. Or, garder un rythme de production aussi élevé que celui souhaité par Airbus les expose d’autant plus à une baisse de cadence future. L’avionneur européen assume cependant pleinement sa stratégie, et entretien l’ambition de produire jusqu’à 75 avions par mois d’ici 2025 (contre 60 par mois pré-Covid).[6] Le carnet de commandes d’Airbus est actuellement rempli jusqu’en 2026.
Boeing, dont le décrochage est à nuancer, mise sur la R&D pour se relancer
Décrochage de Boeing face à Airbus
A la sortie de la crise Covid, Boeing perd de nouvelles parts de marché face à Airbus. Ceci s’explique notamment du fait que les long-courriers, spécialité de Boeing, ont été davantage affectés par la pandémie que les avions court ou moyen-courrier. Les gros-porteurs s’étant moins vendus, cela a laissé Boeing à la traine. Un autre aspect à prendre en compte est le manque dans l’offre de Boeing d’un équivalent de l’A321neo d’Airbus, avion peu cher, de taille moyenne (200 places) et avec des performances de long-courrier.[7]
A cela s’ajoutent les clients qui ont préféré changer de fournisseur, tel Jet2, passé à Airbus avec une commande de 36 A321neo en août 2021 et de 15 aéronefs supplémentaires en septembre 2021.[8]
Il s’agit toutefois de nuancer le décrochage de Boeing, qui a eu certains succès récents. On peut notamment citer les résultats positifs des tests du 737MAX effectués par les autorités de régulation chinoises.[9] Ceux-ci ont un effet d’annonce positif pour la réputation de l’avionneur, et ouvrent des perspectives de commercialisation en Chine (dont la demande en aéronefs est estimée à 1470 Mds$ pendant les 20 prochaines années[10])
Des investissements en R&D
Pour sa propre relance, Boeing mise gros sur une poussée de sa R&D. Le groupe a notamment ouvert le 5 octobre 2021 en Ecosse un nouveau centre, le Metallics Research Centre, pour 11,8 Mds£. Les objectifs de recherche sont de réduire les déchets matériels et d’augmenter les performances en termes de sécurité, productivité et impact environnemental, ainsi que de doubler la chaîne d’approvisionnement de Boeing.[11]
Par ailleurs, Boeing, tout comme Airbus, identifie les « carburants durables » (SAF) comme piste majeure pour décarboner l’aviation d’ici 2050.[12] Une divergence de taille sépare cependant les deux avionneurs sur le thème de l’hydrogène : si Airbus y croit et a établi des coopérations pluri-acteurs pour le développement de cette nouvelle technologie (Airbus, Air Liquide, VINCI)[13], Boeing n’a pas prévu de se lancer sur ce front.
Conclusion/Analyse
En conclusion, nous avons vu que, malgré une industrie aéronautique qui peine à redémarrer, Airbus adopte une politique commerciale expansionniste, alors que de son côté Boeing cherche à se relancer via des investissements massifs en R&D.
Les derniers résultats trimestriels des deux avionneurs (T3 2021), publiés le 11/10/2021, n’infirment pas cette analyse : le nombre de nouvelles commandes supérieur chez Boeing que chez Airbus (302 nouvelles commandes nettes de janvier à septembre 2021, contre 133)[14] est à attribuer à un rebond du groupe américain après la période d’arrêt des 737 MAX et les difficultés à placer ses long-courriers pendant la pandémie. Airbus conserve toutefois son avance globale en termes de carnet de commandes.
Si Airbus fait acte d’une fuite en avant en amassant les commandes, de manière à financer un double axe de R&D (à la fois sur les SAF et sur l’hydrogène), Boeing a choisi de se concentrer exclusivement sur la première piste. Seulement le temps permettra d’affirmer quelle stratégie sera gagnante : celle d’Airbus, au risque d’éparpiller ses fonds sur deux projets concurrents ; ou celle de Boeing, au risque de manquer un virage technologique capital.
[1] www.lemonde.fr/economie/article/2021/09/13/la-sortie-de-crise-consacre-la-domination-d-airbus-sur-boeing_6094497_3234.html
[2] www.usinenouvelle.com/article/nous-ne-sommes-pas-sortis-de-la-crise-previent-guillaume-faury-le-patron-d-airbus.N1146857
[3] www.lesechos.fr/pme-regions/nouvelle-aquitaine/fusion-de-deux-gros-sous-traitants-francais-de-laeronautique-1353049
[4] https://travel.economictimes.indiatimes.com/news/aviation/international/malaysias-airasia-group-restructures-its-huge-airbus-plane-order/86808571
[5] www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/excede-par-les-retards-du-777x-emirates-exhorte-boeing-a-retrouver-ses-valeurs-passees-893955.html
[6] www.reuters.com/business/aerospace-defense/airbus-exec-says-wary-engine-makers-will-meet-demand-new-jets-2021-10-06/
[7] www.lemonde.fr/economie/article/2021/09/13/la-sortie-de-crise-consacre-la-domination-d-airbus-sur-boeing_6094497_3234.html
[8] www.reuters.com/article/jet2-orders/update-1-uks-jet2-orders-15-more-airbus-aircraft-idUSL4N2R12RJ
[9] www.reuters.com/article/china-airshow-boeing/boeing-737-max-test-flight-for-chinas-regulator-a-success-exec-idUSL1N2QV0BO
[10] www.air-journal.fr/2021-09-24-boeing-la-chine-aura-besoin-de-8700-avions-dici-2040-5230640.html/comment-page-1
[11] www.boeing.co.uk/news-media-room/news-releases/2021/october/boeing-and-national-manufacturing-institute-scotland-open-rd-facility.page
[12] www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/aviation-durable-boeing-et-airbus-presque-sur-la-meme-longueur-donde-1353153
[13] https://industrie.airliquide.fr/airbus-air-liquide-vinci-airports-annoncent-partenariat-developper-lusage-lhydrogene-accelerer
[14] www.boursorama.com/bourse/actualites/airbus-pas-de-mauvaise-surprise-du-cote-des-livraisons-en-septembre-af0f15ff9c53c8dc51d6126b313c087f