Recommandations de la CNUCED pour un avenir numérique durable et inclusif
L’économie numérique, en pleine expansion, offre des opportunités et des défis uniques, notamment en termes de durabilité environnementale. Le « Rapport sur l’économie numérique 2024 » de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) propose des directives essentielles pour aligner la numérisation avec les objectifs de durabilité. Cet article analyse les recommandations politiques principales, les actions spécifiques à entreprendre, la nécessité de coopération internationale et les perspectives futures pour garantir que la transformation numérique soutienne un développement inclusif et respectueux de l’environnement.
1. Empreinte Environnementale de la Numérisation
1.1. Impact Environnemental Direct de la Numérisation
La numérisation exerce une influence environnementale directe tout au long du cycle de vie des appareils numériques et des infrastructures des technologies de l’information et de la communication (TIC), depuis la production jusqu’à l’utilisation et la fin de vie des dispositifs.
En premier lieu, la production de dispositifs numériques nécessite une extraction massive de matières premières. Par exemple, la fabrication d’un ordinateur de 2 kg exige l’extraction de 800 kg de matières premières. Cette phase de production est responsable d’environ 80 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) des smartphones. En 2020, les émissions du secteur des TIC étaient estimées entre 0,69 et 1,6 gigatonnes de CO2 équivalent, représentant ainsi 1,5 à 3,2 % des émissions mondiales de GES.
Ensuite, l’utilisation des infrastructures numériques, notamment les centres de données, constitue une part importante de l’empreinte environnementale. Ces centres, qui sont l’épine dorsale de l’économie numérique, ont consommé environ 460 TWh d’électricité en 2022, un chiffre qui pourrait plus que doubler pour atteindre 1 000 TWh d’ici 2026. À titre de comparaison, la consommation totale d’électricité en France s’élevait à environ 459 TWh en 2022. Les appareils utilisateurs, tels que les ordinateurs de bureau et les télévisions, génèrent la majorité de leurs émissions durant la phase d’utilisation. En revanche, pour les smartphones, tablettes et ordinateurs portables, la production représente la part la plus importante des émissions.
Enfin, la fin de vie des appareils numériques pose également un défi environnemental majeur. Entre 2010 et 2022, le volume des déchets électroniques provenant des écrans, des petits équipements informatiques et de télécommunications a augmenté de 30 % au niveau mondial, passant de 8,1 millions à 10,5 millions de tonnes. Le taux global de collecte formelle des déchets numériques était de 24 % en 2022, mais seulement de 7,5 % dans les pays en développement, tandis que dans les pays développés, ce taux atteignait en moyenne 47 %, ce qui reste insuffisant.
1.2. Effets Indirects
Les effets indirects de la numérisation peuvent être à la fois positifs et négatifs. D’une part, les technologies numériques peuvent améliorer l’efficacité énergétique et réduire la demande dans tous les secteurs. D’autre part, ces gains potentiels peuvent être compensés par une augmentation de la consommation de biens et services numériques, entraînant ainsi des impacts environnementaux négatifs.
1.3. Défis de Mesure
Il demeure difficile d’évaluer l’impact environnemental total de la numérisation en raison de plusieurs facteurs. Tout d’abord, il manque des données comparables, accessibles et actualisées. Ensuite, les études existantes utilisent diverses méthodologies, hypothèses et modèles, ce qui entraîne des résultats divergents.
1.4. Conclusions
Pour atténuer les impacts environnementaux négatifs et maximiser les effets positifs de la numérisation, il est crucial d’améliorer la collecte et la transparence des données sur l’impact environnemental, ainsi que de promouvoir des politiques et pratiques durables tout au long du cycle de vie numérique, en mettant l’accent sur la consommation et la production responsables, ainsi que sur la gestion des déchets électroniques.
2. Défis pour les Pays en Développement
Les pays en développement rencontrent des défis spécifiques dans le contexte de la numérisation, notamment en raison des inégalités dans l’accès aux infrastructures numériques et des bénéfices économiques et sociaux qui en découlent. De nombreux pays en développement souffrent d’un manque d’accès aux infrastructures numériques, ce qui limite leur capacité à tirer parti des avantages offerts par la numérisation. Cette fracture numérique entraîne une inégalité dans la répartition des bénéfices de la transformation numérique.
En outre, les pays en développement supportent souvent une part disproportionnée des impacts environnementaux négatifs de la numérisation. Par exemple, ils peuvent être les sites de décharges pour les déchets électroniques provenant des pays développés, entraînant des problèmes de santé et de pollution locale. De plus, ces pays sont souvent les principaux fournisseurs de matières premières nécessaires pour la fabrication de technologies numériques, ce qui peut entraîner des dégradations environnementales importantes et des impacts sociaux négatifs, tels que des conditions de travail dangereuses et l’exploitation des communautés locales.
La capacité limitée de ces pays à gérer les déchets numériques constitue un autre défi majeur. Les systèmes formels de collecte et de gestion des déchets électroniques sont souvent insuffisants ou inexistants dans les pays en développement, conduisant à une gestion informelle des déchets, généralement inefficace et dangereuse pour l’environnement et la santé humaine. De plus, un grand nombre de pays en développement n’ont pas encore adopté de législations adéquates pour la gestion des déchets numériques, seul un quart de ces pays disposant de lois pertinentes pour gérer ces déchets.
Les pays en développement manquent souvent de ressources financières et de capacités humaines nécessaires pour mettre en place et maintenir les infrastructures numériques et les solutions de gestion environnementale. Ces pays sont également plus vulnérables aux impacts du changement climatique, ce qui peut limiter leurs options de développement socio-économique et exacerber les défis liés à la numérisation. Une grande partie de la gestion des déchets numériques est effectuée par le secteur informel, qui n’a pas les moyens ni les compétences pour traiter ces déchets de manière sûre et efficace.
Pour surmonter ces défis, le rapport préconise un soutien international accru et une coopération renforcée pour aider les pays en développement à naviguer dans les impacts environnementaux de la numérisation tout en maximisant les avantages économiques et sociaux. Il est crucial d’adopter des politiques intégrées et des pratiques durables pour assurer un avenir numérique inclusif et respectueux de l’environnement.
3. Recommandations Politiques
Les recommandations politiques se concentrent sur plusieurs objectifs clés. Tout d’abord, il est essentiel de réduire l’empreinte environnementale de la numérisation en promouvant des pratiques de production et de consommation durables dans le secteur des TIC, en encourageant l’utilisation d’énergies renouvelables pour alimenter les infrastructures numériques, et en mettant en place des politiques visant à minimiser les déchets électroniques.
Ensuite, il est impératif d’améliorer la collecte de données et les analyses en développant des méthodes harmonisées et comparables pour mesurer l’impact environnemental de la numérisation et en promouvant la transparence et la divulgation des données par les entreprises technologiques concernant leur consommation d’énergie, leurs émissions de GES et leur utilisation de l’eau.
Par ailleurs, le renforcement de la coopération internationale est crucial pour partager les meilleures pratiques et technologies durables. Il est nécessaire de mettre en place des partenariats multilatéraux pour partager les meilleures pratiques et technologies durables, et de soutenir les pays en développement dans leur transition vers une économie numérique durable par le biais de financements et de transferts technologiques.
4. Actions Spécifiques
Pour concrétiser ces recommandations, plusieurs actions spécifiques sont proposées. Il est essentiel de promouvoir l’adoption de sources d’énergie renouvelable pour les centres de données et les infrastructures numériques. Par exemple, les centres de données devraient viser une consommation électrique de 1 000 TWh en utilisant des sources d’énergie renouvelable d’ici 2026. De plus, il est nécessaire d’encourager le recyclage et la réutilisation des matériaux dans la fabrication des appareils numériques, étant donné que la production de minéraux comme le lithium et le cobalt pourrait augmenter de 500 % d’ici 2050 pour répondre à la demande croissante de technologies numériques.
En outre, la promotion de la conception de produits numériques durables et réparables est cruciale. Cela inclut la réduction de l’obsolescence programmée et l’augmentation de la durée de vie des appareils. Le renforcement des infrastructures de collecte et de recyclage des déchets électroniques est également primordial. En 2022, seulement 24 % des déchets numériques étaient collectés de manière formelle au niveau mondial, et ce chiffre tombe à 7,5 % dans les pays en développement.
Il est également nécessaire de mettre en place des régulations strictes pour la gestion des déchets électroniques et l’utilisation de substances dangereuses dans les appareils numériques, ainsi que d’utiliser des mécanismes fiscaux pour inciter les entreprises à adopter des pratiques durables, telles que des réductions d’impôts pour l’utilisation d’énergies renouvelables ou des taxes sur les produits non recyclables.
Enfin, des efforts doivent être déployés pour lancer des campagnes de sensibilisation sur les impacts environnementaux de la numérisation et promouvoir l’éducation à la durabilité dans les cursus scolaires et universitaires. Des programmes de formation pour les travailleurs du secteur des TIC doivent également être développés afin de promouvoir les compétences en matière de gestion durable des ressources et des déchets.
5. Partenariats et Collaboration
La coopération internationale est vitale pour partager les meilleures pratiques et technologies durables. Les partenariats multilatéraux, comme la
Coalition pour la durabilité environnementale numérique, peuvent jouer un rôle clé. De plus, il est crucial de fournir une assistance technique et financière aux pays en développement pour renforcer leurs capacités de numérisation durable. Les collaborations entre les gouvernements, les entreprises technologiques et la société civile sont essentielles pour développer et mettre en œuvre des solutions numériques durables. Les entreprises doivent être tenues responsables de leur impact environnemental et adopter des pratiques de durabilité. Les partenariats public-privé peuvent faciliter le développement de technologies innovantes et durables, tout en garantissant que les bénéfices de la numérisation sont partagés de manière équitable.
6. Perspectives Futures
Pour garantir que la numérisation contribue à un avenir durable et inclusif, des actions audacieuses et résolues sont nécessaires à tous les niveaux. Les stratégies numériques doivent être intégrées aux politiques de durabilité environnementale pour maximiser les avantages économiques et sociaux tout en minimisant les impacts négatifs. Le soutien aux pays en développement est crucial, avec un focus sur le renforcement des capacités et la fourniture de financements adéquats. Des forums internationaux, tels que le Sommet mondial sur la société de l’information (WSIS+20) et l’Agenda 2030 pour le développement durable, offrent des opportunités pour réviser et renforcer les objectifs de durabilité numérique. La mise en place d’un pacte mondial pour l’avenir, incluant un compact numérique global, est également essentielle pour fixer des principes et des objectifs communs.
7. Que faire dans l’avenir ?
Les choix faits aujourd’hui détermineront l’impact de l’économie numérique sur la planète. Les parties prenantes doivent adopter la durabilité à chaque étape du cycle de vie numérique pour créer une économie numérique prospère en harmonie avec notre planète. Les recommandations politiques du rapport mettent en lumière la nécessité d’une approche intégrée et collaborative pour garantir que la transformation numérique soutienne un développement inclusif et respectueux de l’environnement.