Intelligence Economique : Inspiration pour un modèle organisationnel
Je lisais récemment un ouvrage fort instructif, dans lequel l’auteur soulignait que « la numérisation, vantée pour ses capacités à favoriser échanges, communication, expression et analyse du « moi », a paradoxalement durci les rapports humains et créé de nouvelles solitudes entraînant un retour à l’inconscient, à l’irrationnel et aux sciences parallèles1. »
Quelques pages plus loin, il précise : « L’évolution de notre société vers une organisation subsidiaire appelle en préalable son analyse en tant que système à organiser et à piloter sur des objectifs de développement et de progrès2. »
Toute évolution d’organisation doit être murement pensée, car nous voyons bien aujourd’hui que nous sommes mis au défi de la durabilité. Anticiper et prévenir les dégradations possibles en interne, mais encore sur l’environnement, est devenu la condition de la réussite.
Comment répondre à un tel défi sans s’interroger sur la forme d’intelligence que nous mettons en œuvre, et sur les services qu’elle peut nous rendre ? Au premier chef, les acteurs politiques et économiques doivent prendre en compte cette question qui apparait comme primordiale.
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Contrairement à ce que pensent certains, l’intelligence économique n’est pas seulement un outil original au service d’experts de niveau étatique. C’est surtout une fonction stratégique que chaque organisation doit savoir s’approprier.
Il faut ainsi définir l’intelligence économique de manière opératoire, afin qu’elle puisse autant servir l’autonomie des organisations qui prennent l’initiative, que développer le travail en partenariat ou en réseaux collaboratifs.
INTELLIGENCE ?
L’intelligence doit-elle se définir, comme nous le faisons trop souvent, à l’aune du «quotient intellectuel», ou bien doit-elle plutôt être évaluée dans la capacité à maîtriser durablement l’interaction à l’environnement ?
La multitude des formes de l’intelligence nous invite en effet à sortir de la valeur absolue, pour aller vers la relativité liée à toute chose. L’intelligence véritable n’est-elle pas celle qui permet d’entrer en intelligence avec son prochain, d’être en bonne intelligence avec ses amis et de mieux vivre en intelligence avec la société ?
De l’intelligence spontanée à la stratégie
Ainsi apparaît, liée à la conscience de soi et des autres, la nécessité d’une maîtrise de l’art de la relation humaine liée aux sciences de l’anticipation. D’une connaissance qui, pour arbitrer sur des choix simples, doit prendre en compte le complexe. Qui se veut si possible durable et transférable.
Si l’intelligence peut ici être définie comme la capacité à comprendre les relations qui président aux interactions entre acteurs et à les anticiper pour satisfaire nos besoins en matière de réalisation, l’intelligence économique consiste alors à recueillir les informations nécessaires à la compréhension des interrelations de l’écosystème et à les analyser, pour anticiper l’action et bénéficier ainsi d’un avantage compétitif ou concurrentiel si possible stratégique.
En effet, comme le disait Bonaparte, les évènements seront favorables à ceux qui sont bien positionnés au départ de l’action, à ceux qui ont bien préparé et anticipé l’action.
Le renseignement est l’outil de l’anticipation de l’action. Le rôle de l’intelligence économique est de transformer l’information en avantage compétitif stratégique.
Les outils de l’intelligence économique
Le terme de « renseignement » est resté trop connoté. Il n’est pas tant une affaire de services que le souci de chacun. Etre renseigné, c’est être informé des choses qui vont nous permettre de réussir l’action. C’est en faisant l’acquisition d’informations ouvertes scientifiques, techniques, économiques, juridiques, etc. et en sachant les analyser au regard des objectifs que l’on s’est fixé, que s’effectuera l’essentiel du travail de renseignement.
Mais l’intelligence économique exerce un traitement complet du renseignement. Une fois qu’il est obtenu et traité, il faut encore en assurer le management. Le management des connaissances ou knowledge management est aussi en partie un des métiers de l’intelligence économique qui permet d’optimiser les interactions entre les acteurs, afin que s’effectue non seulement la bonne distribution, mais encore l’échange optimum d’informations.
Classification et sécurité de l’information apparaissent alors comme une notion clé, mais trop souvent oubliée des organisations. Affaire de professionnels.
Enfin il y a l’influence, notion trop souvent confondue avec le lobbying; lui-même fort mal connoté du fait des excès de ceux qui ont enfreint gravement les normes et principes et le « devoir élémentaire de précaution ». L’influence est la bonne communication, qui permet de mettre en avant les avantages comparatifs d’une société ou d’un produit, à hauteur des réalités conjoncturelles. C’est grâce à la connaissance maîtrisée de l’écosystème que celle-ci peut s’exercer de manière efficiente.
UNE STRATEGIE BIEN COMPRISE
La stratégie est communément comprise comme un ensemble d’actions coordonnées et de manœuvres en vue d’une victoire3. C’est aussi4 l’art de la planification en vue d’atteindre un but.
On comprend alors l’intérêt du recours aux moyens de l’intelligence économique, celle-ci apportant de précieuses informations permettant d’anticiper l’action et ses résultats probables à court, moyen et long terme.
Efficience de l’intelligence économique
Certains grands groupes sont connus pour leurs réussites liées à l’intelligence économique. C’est le cas de Total, L’Oréal, Dassault5, Décathlon ou Bolloré6. Les responsables peuvent prendre diverses appellations : responsable de la veille chez Décathlon, chief information officer chez Dassault, ou directeur de l’intelligence économique ailleurs. Il s’agit toujours de mettre en place, sous différentes formes et avec diverses priorités d’orientation, un processus stratégique d’anticipation.
Mais l’intelligence économique peut être dévoyée ou mal utilisée. Ce sont souvent des cas liés à des dirigeants qui ont focalisé leur action sur un des champs de l’IE, provoquant par conséquent des erreurs d’analyse et une perte d’efficience de l’outil.
Aujourd’hui cependant et du fait des outils qui sont mis à sa disposition, l’intelligence économique peut s’ouvrir à des perspectives nouvelles.
Intelligence, stratégie et collaboration
Le cas qui m’apparait le plus emblématique est celui de Décathlon, qui s’est lancée dans la co-création de produit, avec les consommateurs. Cette société utilise les outils de l’IE de longue date et pratique particulièrement l’écoute prospective. Contrairement aux Galeries Lafayette, qui ont dû quitter Berlin et s’apprêtent à quitter le Maroc, Décathlon a réussi son étude prospective de marché au Maroc et continue de se développer, alors que de nombreux observateurs pensaient que le marché n’était pas mûr pour ses produits.
Au-delà des entreprises privées, les collectivités territoriales gagnent aussi à utiliser l’intelligence économique, pour valoriser leurs écosystèmes et en faire la promotion. Car le conseil, apporté en termes d’usage des outils de recherche et d’analyse des données adaptée au contexte, permet de mieux organiser et planifier la ressource pour atteindre les buts fixés. Plus encore aujourd’hui, où nous savons que c’est par le lien entre les acteurs locaux ainsi que leur capacité à échanger des informations de manière conviviale qui font le succès des grandes métropoles et des pôles d’activité.
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Y a-t-il une intelligence pour nous sauver ?
Nous aurons compris que si des acteurs majeurs comme les Etats ou les grands groupes usent de l’intelligence économique à leur profit, des acteurs de moins grande taille, entreprises ou collectivités territoriales, peuvent aujourd’hui utilement recourir aux fonctions de l’intelligence économique.
Ces acteurs peuvent notamment l’utiliser pour identifier leurs marges de manœuvre en matière de développement, pour radiographier et cartographier les écosystèmes, identifier partenaires, prospects et concurrents.
C’est notamment le cas à l’international où les interactions entre écosystèmes sont complexes et méritent une approche interculturelle fouillée.
Au-delà des horizons connus, l’intelligence économique apporte les outils d’un collaboratif efficient et d’une approche économique responsable dans la durée.
Jean-François DELBOS est Business Facilitator Associate au sein de CMAIS. Il intervient au sein de CMAIS sur les questions liées aux stratégies de positionnement des entreprises, en Intelligence Economique et sur des problématiques de management interculturel.
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1: Jean-Michel TREILLE, La révolution numérique – Situation, menaces, promesses – Réinventons l’avenir, Les Editions OVADIA, 2016 réédition augmentée, 216 p. (p. 159)
2: p. 165
3: Dictionnaire Robert
4: 1. A method or plan chosen to bring about a desired future, such as achievement of a goal or solution to a problem. 2. The art and science of planning and marshalling resources for their most efficient and effective use. The term is derived from the Greek word for generalship or leading an army. See also tactics. (BusinessDictionnary)
5: Intelligence économique, 2ème édition, Christian MARCON, Nicolas MOINET, Dunod, 2011
6: Intelligence économique. S’informer, se protéger, influencer, sous la dir. d’Alice GUILHON, éd. Pearson, 2016