Analyse – Consolidation du secteur aéronautique, sur fond de stratégie industrielle souveraine
Le 6 octobre 2021, en marge de la rencontre annuelle de l’IATA,[1] le Directeur commercial d’Airbus, Christian Scherer, a réaffirmé la détermination de l’entreprise à poursuivre une stratégie industrielle expansionniste, et ce malgré les craintes de ses fournisseurs.[2] Cet exemple parlant, où s’expriment les inquiétudes des sous-traitants face aux décisions déterminantes des avionneurs, illustre les difficultés persistantes du secteur aéronautique, grevé par une pénurie de main d’œuvre et l’incertitude sur l’avenir.
Ainsi, face à ces difficultés, nombre d’entreprises font le choix de la consolidation, s’associant les unes aux autres pour faire face aux enjeux contemporains. Au nombre de ceux-ci nous pouvons notamment compter une R&D renforcée (principalement focalisée sur des alternatives à la propulsion au kérosène) et la sécurité des approvisionnements.
Pour redémarrer après la crise Covid, beaucoup d’entreprises font le choix de la consolidation
Les défis post-Covid auxquels doit se confronter l’aviation sont nombreux
Les données prospectives publiées par Boeing sur l’évolution de la demande d’ici 2040 dans les principaux marchés émergeants sont marquées partout par des voyants verts : 8 700 nouveaux avions en Chine (1470 Mds$),[3] 3 000 au Moyen-Orient (700 Mds$),[4] 1 030 en Afrique (160 Mds$)[5] et 1 540 à l’Est : Russie, Ukraine, Communauté des états indépendants (200 Mds$).[6]
En sus de cette hausse des volumes, les voyageurs souhaitent aujourd’hui « voyager propre » – une tendance qui pour l’heure se limite aux pays occidentaux, mais qui a un poids conséquent sur les stratégies industrielles dans le secteur. Équipementiers et avionneurs explorent ainsi des modes de propulsions innovants sensés à terme remplacer le kérosène : carburant durable d’aviation (SAF), hydrogène, électricité. Toutes cependant coutent cher en R&D, d’où le choix de certaines entreprises de recourir à la consolidation.
La nécessité du redémarrage impose le choix de la consolidation
Pour avoir des capacités de production renforcées et une base financière plus large, de nombreux acteurs de l’aéronautique font le choix de la consolidation et des partenariats stratégiques. On peut citer l’exemple récent des sous-traitants Nexteam et Ventana.[7] D’autres associations fondées sur des projets spécifiques illustrent la robustesse de cette tendance. C’est par exemple le cas de la joint-venture ente les compagnies régionales espagnoles Volotea-Air Nostrum et l’avionneur DANTE Aeronautical pour certifier un avion 100% électrique d’ici 2024.[8]
Par ailleurs, dans le contexte actuel d’effort pour une transition énergétique de l’aviation[9] illustré par les engagements des avionneurs et de l’IATA[10], une approche globale et multi-acteurs paraît indispensable.[11] On peut à cet égard citer en modèle la collaboration Airbus – Air Liquide – VINCI Airports, relative à l’introduction d’infrastructures adaptées au carburant à hydrogène dans les aéroports. Au sein de cette collaboration, les trois acteurs associent leurs expertises respectives (aviation, hydrogène et industrie aéroportuaire) pour déployer à l’aéroport-pilote Lyon Saint-Exupéry une offre d’hydrogène gazeux (2023) et liquide (2023-2030) à horizon 2030.[12]
Les consolidations peuvent ainsi mobiliser plusieurs enjeux stratégiques
La consolidation alimente en ressources une R&D très coûteuse mais nécessaire
Quel que soit le choix de propulsion d’avenir choisi (SAF, hydrogène, électrique), le budget de R&D représente un poids financier important : pour Airbus, faire naître l’avion à hydrogène d’ici 2035 représente un investissement de plusieurs dizaines de milliards d’euros.[13] La consolidation permet ainsi aux entreprises de plus petite taille de mutualiser leurs efforts d’innovation. S’établir dans des environnements à forte synergie peut également être une alternative.[14]
Souveraineté industrielle et sécurité des approvisionnements, nouveaux enjeux pour le secteur
En parallèle du maintien de compétitivité via une R&D ambitieuse, la consolidation peut également être mue par des volontés extérieures, qui en sauvant des PME hyperspécialisées sauvegardent le tissu industriel national et protègent ses champion. C’est par exemple la fonction du fonds d’investissement Aéro Partenaires, créé avec le concours de l’État français, géré par Ace Capital Partners et financé par Airbus, Safran, Dassault Aviation et Thalès.[15]
A propos d’Aéro Partenaires : Aéro Partenaires est un fond d’investissement créé le 9 juin 2020. Il est géré par Ace Capital Partners,[16] filiale de la société paneuropéenne de gestion d’actifs et d’investissement Tikehau Capital.[17] A sa création, le fonds a bénéficié de 650 millions € de financements : 200 millions € de l’État français (dont 50 millions € via la banque publique d’investissement Bpifrance) ; Airbus (116 millions €), Safran (58 millions €), Dassault Aviation (13 millions €) ; Thalès (13 millions €) ; et 230 millions € de Tikehau Capital (en fonds propres). Son objectif est de soutenir les PME et ETI de la filière aéronautique. Le fonds dispose aujourd’hui de 750 millions €, et devrait atteindre 1 milliards € d’ici mi-2022.[18]
Conclusion
Suite à la crise Covid, nombre d’entreprises ont fait le choix de la consolidation, pour redémarrer leur activité avec une base financière et un appareil productif plus solides, ainsi que pour financer leur R&D. Les rachats et recapitalisations de certaines PME ont également pu répondre à des logiques de souveraineté industrielle et de sécurité des approvisionnements des grands groupes. La consolidation se place ainsi au croisement de stratégies économiques internes aux entreprises et d’intérêts externes.
A titre plus prospectif, au vu des défis auxquels est confronté le secteur aéronautique et de l’intérêt public à ce que sa transition énergétique se fasse dans les meilleurs délais, il pourrait être intéressant de réfléchir à l’opportunité de partenariats public-privé encore plus engagés. L’exemple d’Aéro Partenaires proposait le cas d’un concours financier de l’État pour soutenir les PME en difficulté. L’étape suivante devrait être celle d’une collaboration étroite avec les industriels pour le déploiement de l’infrastructure nécessaire à accueillir les nouveaux carburants (hydrogène, électricité) dans les sites aéroportuaires. L’État a ici une responsabilité et un rôle à jouer : il doit aider l’industrie à faire émerger l’aviation de demain.
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[1] International Air Transport Association.
[2] www.reuters.com/business/aerospace-defense/airbus-exec-says-wary-engine-makers-will-meet-demand-new-jets-2021-10-06/
[3] www.flightglobal.com/air-transport/comac-sees-china-taking-over-9000-new-aircraft-by-2040/145681.article
[4] www.boursorama.com/bourse/actualites/boeing-perspectives-commerciales-a-20-ans-au-moyen-orient-a71685361d93706d580a0eb1138566ee
[5] www.air-journal.fr/2021-10-22-boeing-400-milliards-pour-laviation-commerciale-en-afrique-dici-2040-5231153.html
[6] www.boursorama.com/bourse/actualites/boeing-devoile-ses-anticipations-de-marche-pour-l-est-7c6be25eb52beca28a416339c7d1d221
[7] www.lesechos.fr/pme-regions/nouvelle-aquitaine/fusion-de-deux-gros-sous-traitants-francais-de-laeronautique-1353049
[8] www.air-journal.fr/2021-09-23-volotea-et-air-nostrum-un-avion-electrique-des-2024-5230626.html
[9] www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/aviation-durable-boeing-et-airbus-presque-sur-la-meme-longueur-donde-1353153
[10] www.iata.org/contentassets/e335732cc7284e4299b069233b81705e/2020-07-09-01.pdf
[11] www.usinenouvelle.com/article/quand-airbus-explique-pourquoi-il-ne-pourra-pas-decarboner-le-transport-aerien-tout-seul.N1142947
[12] https://energies.airliquide.com/fr/airbus-air-liquide-vinci-airports-annoncent-partenariat-developper-lusage-lhydrogene-accelerer
[13] www.ouest-france.fr/economie/entreprises/airbus-planche-sur-trois-avions-a-hydrogene-6983049
[14] https://toulouse.latribune.fr/innovation/recherche-et-developpement/2021-09-23/des-anciens-d-airbus-choisissent-toulouse-pour-developper-universal-hydrogen-892934.html
[15] www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/la-filiere-aeronautique-francaise-entre-en-phase-de-consolidation-1357446
[17] www.tikehaucapital.com/en/our-group/at-a-glance
[18] www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/la-filiere-aeronautique-francaise-entre-en-phase-de-consolidation-1357446