Analyse – Les pénuries auxquelles le secteur du textile fait face
Le secteur mondial du textile fait face à des pénuries, les grandes marques ne réussissent plus à satisfaire la demande, et les prix ne cessent de grimper. Alors que les fêtes de fin d’années approchent, la situation ne semble pas s’améliorer, au contraire, de plus en plus de pays semblent touchés. De nombreux pays asiatiques, producteurs de vêtements et de chaussures, sont directement impactés par cette crise. En réalité, le secteur fait face aujourd’hui à une multitude de facteurs pouvant expliquer l’origine de ces pénuries.
Tout d’abord, les entreprises font face à des délais de livraisons bien plus élevés que lors de la période pré-covid : les ports étant débordés depuis la reprise économique, il faut désormais 80 jours à un porte-container pour effectuer le trajet Chine-Amérique du nord, soit le double qu’en 2019.[1] A cela s’ajoute une flambée des prix de fret, avec une augmentation du prix d’un conteneur de 650%. Ainsi, afin d’obtenir un conteneur de 40 pieds pour effectuer le trajet Shanghai-Casablanca, une entreprise doit débourser 200 000 dirhams marocains (MAD) contre « seulement » 40 000 MAD avant la crise sanitaire.[2] Cette évolution est due à une pénurie mondiale de containers à partir d’automne 2020, lors de la reprise économique chinoise. Depuis, les entreprises sont prêtes à débourser des sommes de plus en plus conséquentes afin d’obtenir un container et livrer leurs marchandises dans les meilleurs délais.
A cela s’ajoute un bouleversement des chaînes d’approvisionnement asiatiques. A la racine du problème se situe la Chine, actuellement empêtrée dans une crise nationale d’énergie. Ces dernières semaines, vingt provinces du pays sont proies à des coupures d’électricité.[3] Les raisons sont multiples : un manque de charbon en raison d’un embargo sur le charbon australien ; la montée des prix du charbon (+70% au cours des 12 derniers mois)[4], source de 60%[5] de l’électricité produite en Chine ; la réduction de production d’électricité ordonnée par certaines autorités provinciales afin de respecter les quotas d’émissions de gaz à effets de serre. Au total, ce sont 44% des industries du pays qui sont touchées.[6] En conséquence, Goldman Sachs a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour la Chine pour l’année 2021, passant de 8.2% à 7.8%.[7]
Tous les secteurs industriels chinois sont touchés, y compris le textile, qui voit sa production baisser. Or, la Chine jouant un rôle majeur dans la région, ces pénuries ont également des conséquences sur les pays voisins. On constate ainsi un véritable coup d’arrêt des matières premières produites en Chine à destination de ses voisins, allongeant les délais d’approvisionnement. Le Bangladesh, par exemple, importe de Chine 95% du fil utilisé dans son industrie textile, ainsi que le charbon dont cette dernière est dépendante.[8] Mais ces importations sont aujourd’hui mises à mal par les problèmes énergétiques ayant lieu dans l’Empire du Milieu.
Ensuite, on a pu observer une recrudescence de cas Covid-19 au Vietnam et en Indonésie. Ces deux pays asiatiques ont donc décidé de repasser à un confinement strict, impliquant une fermeture partielle des usines. Les restrictions de déplacement ont également contribué à empirer la chaîne logistique et les délais de livraison. Entre temps, l’Indonésie a repris sa production à 100%, mais souffre encore des retards que ces fermetures ont provoqués. Au Vietnam cependant, EuroCham 4th wave survey averti que 18% des fabricants européens ont déjà quitté le pays.[9]
On peut mentionner le cas de l’équipementier américain, Nike. En proie à l’accumulation de tous ces facteurs, l’entreprise, qui produit respectivement 51% et 24% de ses chaussures au Vietnam et en Indonésie[10], a vu sa production reculer massivement au cours des dernières semaines, et cumule désormais une perte matérielle équivalente à 10 semaines de production.[11] La marque à la virgule a annoncé avoir fermé 80% de ses usines dans le sud du Vietnam.11 Ses prévisions de croissance de ventes ont logiquement été revues à la baisse d’ici la fin de l’année comptable (mai 2022), passant de 10-15% à 5% : les pertes sont prévues à 160 millions de paires de chaussures.5 A noter que Nike n’est pas la seule marque dans cette situation : Under Armour, Columbia, GAP, Adidas (qui valorise ses pertes à 500 millions d’euros de baisse de ses ventes[12]) et d’autres sont confrontés aux mêmes problèmes. Ces dernières cherchent désormais à quitter le pays afin de pouvoir continuer leur production.
La question est de savoir où aller maintenant pour ces entreprises implantées au Vietnam, qui aimeraient continuer leur production autre part. D’autant plus que BTIG, une entreprise américaine de service financiers, affirme que les entreprises auront du mal à faire revenir les ouvriers une fois les restrictions levées. Effectivement, 40 000 travailleurs ne sont pas retournés au travail dans une usine taiwanaise, Pou Chen Corp, lors de la réouverture de cette dernière, le 6 octobre 2021.[13] Alors que certaines entreprises comme Lakeland Industries ont décidées il y a quelques semaines, au début du confinement vietnamien, de relocaliser leur production en Chine, cette option semble désormais être contreproductive en raison de la pénurie d’énergie y prenant place. D’après Ankiti Bose, fondatrice et PDG de Zilinguo, fournisseur de mode de grandes marques, les meilleures destinations en ce moment sont l’Inde, Sri Lanka et l’Indonésie, où les entreprises ont repris la production. Alors que Mme Bose affirme que cela pourrait avoir des effets très néfaste pour le Vietnam sur le court terme, pour Adam Koulaksezian, directeur exécutif de la Chambre de Commerce de de l’Industrie Franco-Vietnamienne, ces départs ne sont que temporaires.
Pour ce qui est de l’offre Maroc, Saïd Ibrahimi, Directeur Général de Casablanca Finance City, affirme qu’elle présente « d’énormes » opportunités pour les investisseurs étrangers, étant près de l’Europe et étant le seul pays africain à avoir des accords de libre-échange avec les Etats-Unis. De plus, la nouvelle stratégie d’attractivité des investissements, « Morocco Now » vise à se positionner comme alternative viable de l’Asie sur le plan de production.
Dans l’attente de l’amélioration de la situation, cette crise souligne le manque d’alternatives viables au continent asiatique pour l’industrie textile et fait ressortir la dépendance des grandes marques à l’Asie. La tendance de sourcing à l’échelle globale doit encore prendre de l’ampleur avant de pouvoir réellement inquiéter ces pays.
[1] www.bfmtv.com/economie/consommation/flambee-des-couts-penuries-et-hausse-des-prix-le-secteur-du-vetement-sous-tension_AN-202110060263.html
[2] www.challenge.ma/fret-maritime-les-degats-de-la-hausse-des-tarifs-222213/
[3] www.france24.com/fr/%C3%A9co-tech/20211001-victime-de-pannes-de-courant-la-chine-face-%C3%A0-sa-d%C3%A9pendance-au-charbon
[4] www.fibre2fashion.com/news/apparel-news/will-bangladesh-apparel-exports-run-out-of-steam-in-oct-dec-21–276780-newsdetails.htm
[5] www.ouest-france.fr/monde/chine/la-chine-empetree-dans-des-coupures-d-electricite-sans-precedent-d4c8ce7e-22af-11ec-906c-ae562130e2fb
[6] www.europe1.fr/international/en-coupant-lelectricite-la-chine-met-a-larret-une-partie-de-son-pays-4069165
[7] www.la-croix.com/Economie/Chine-face-coupures-courant-repetition-2021-09-29-1201177988
[8] www.fibre2fashion.com/news/apparel-news/will-bangladesh-apparel-exports-run-out-of-steam-in-oct-dec-21–276780-newsdetails.htm
[9] https://english.thesaigontimes.vn/no-eu-firms-pull-out-of-vietnam-despite-pandemic/
[10] https://edition.cnn.com/2021/10/02/business/vietnam-supply-chain-disruptions/index.html
[11] www.glossy.co/fashion/nike-lost-10-weeks-of-production-to-vietnam-indonesia-factory-shutdowns/
[12] https://frontofficesports.com/sports-retailers-may-turn-from-vietnam-amid-factory-closings/
[13] https://frontofficesports.com/nike-adidas-face-supply-chain-threats/